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Je pense donc je critique · L'Étang de Gisèle Vienne

Par Aude · Retour sur L'Étang de Gisèle Vienne au CDN de Besançon Franche-Comté en février 2023


Photo Gisèle Vienne


"L'Étang parvient bel et bien à nous noyer, nous faire suffoquer, à chercher et à chérir à tout prix un peu de douceur dans une vie vouée à l’échec, un destin prédestiné à la folie."

Ce soir-là, je marche vers le Centre Dramatique Nationale de Besançon avec un enthousiasme presque teinté d’euphorie, pour découvrir l'Étang, écrit par Robert Walser et publié à titre posthume, mis en scène par Gisèle Vienne, metteuse en scène mais aussi et surtout plasticienne et chorégraphe. Deux aspects de son métier particulièrement mobilisés dans une pièce que celle-ci qualifie de “monologue intérieur”.


L’aspect plastique, tout d’abord, nous saute aux yeux dès notre arrivée dans la salle. Un blanc immaculé du sol aux murs, et des mannequins dans des postures savamment choisies pour que celles-ci puissent paraître absolument antropomorphes. Deux sont allongés dans un lit, le seul meuble qui constitue l’intégralité du décor de la pièce, si bien qu’une sensation malsaine nous saisit rapidement tant le tout ressemble à un asile.


L’aspect chorégraphique ensuite, avec la première entrée, anecdotique, d’un homme qui va retirer un à un tous ces mannequins avec une minutie chirurgicale. Puis celle des deux seules comédiennes, qui nous entraînent instantanément dans un tourbillon singulier, joué à vitesse réduite. Adèle Haenel et Henrietta Walberg vont parvenir à tenir une heure et demie sans jamais laisser retomber cette tension à la fois dans leurs corps et dans la salle. Chaque pas, chaque déplacement, s’étire dans le temps qui se retrouve comme suspendu.


Le monologue intérieur débute, et bien qu’il ne soit pas toujours aisé de s’y repérer, on remarque avec stupéfaction qu’Adèle Haenel endosse le rôle d’une fratrie entière. Deux frères et une sœur, malmenés par la vie, violentés par leurs parents. Une plaie ouverte qui ne cesse de saigner pour s’épandre de son amertume, son ivresse, sa détresse et de toute une innocence bafouée.


Comment ne pas être saisi par Fritz, jeune adolescent qui dépeint la scène d’un suicide orchestré par une métaphore de couverts ? Sa sœur est une petite cuillère. Il se positionne dans tout ce néant avec une incroyable contenance, ici en fantasmant sur la mère de son ami, là en refaisant le monde avec sa sœur car peut-être faudrait-il utiliser de nouvelles lunettes pour découvrir une nouvelle réalité ? En revanche, il pourrait vaciller en entier quand son père lui lâche un “je t’aime” empoisonné.


La performance remarquable livrée par les comédiennes, et les choix de la mise en scène font que l’on se concentre intégralement sur l’essence du texte, sur ce personnage principal qui oscille entre rêve et cauchemar.


L'Étang parvient bel et bien à nous noyer, nous faire suffoquer, à chercher et à chérir à tout prix un peu de douceur dans une vie vouée à l’échec, un destin prédestiné à la folie. Nul doute qu’après un an et demi de représentation, le spectacle, ovni singulier qui nous plonge dans une ambiance qui se veut totale, continuera de marquer les esprits.


· Par Aude, publié le 27 mars 2023 ·




Je pense donc je critique réunit les chroniques culturelles éditées par les étudiant·e·s participant·e·s de l'atelier d'écriture critique initié par le service science, arts et culture de l'Université de Franche-Comté, en partenariat avec Radio Campus Besançon et le Théâtre Universitaire de Franche-Comté. Chroniques à lire sur theatre-universitaire-fc.fr et à écouter sur campusbesancon.fr


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